Biodiversité
Une partie des
écosystèmes de l’Afrique est dans un état «catastrophique» selon Robert Kasisi,
professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université
de Montréal. Il faut s’attaquer à cette situation si l’on veut réduire les
effets des changements climatiques. «On a beaucoup parlé de dérèglements
climatiques au cours de la dernière décennie, mais on semble oublier que sans
forêts, sans océans en santé, ce sont des puits de carbone importants qui ne
jouent plus leur rôle de régulation dans les cycles biogéochimiques. En
Afrique, ce problème est particulièrement criant», explique-t-il au terme d’une
enquête de cinq ans sur les écosystèmes du continent africain pour le compte de
l’Organisation des Nations unies.
À la tête d’une équipe
de 10 chercheurs scientifiques de tous les coins du monde, il a codirigé
avec Pierre Failler, du Royaume-Uni, le deuxième
chapitre du «rapport Afrique» de la Plateforme
intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (mieux
connue sous son abréviation anglaise IPBES, l’Intergovernmental Science-Policy
Platform on Biodiversity and Ecosystem Services; l’IPBES est aux écosystèmes ce
que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ou GIEC
est aux changements climatiques).
«Nous avions pour mandat de dresser l’état des lieux sur le continent
africain. C’est évidemment une tâche complexe en raison de la diversité des
habitats, des questions démographiques et des systèmes politiques qu’on y
rencontre. Mais notre rapport souligne quelques points importants comme la
dégradation des forêts, à cause notamment des besoins en énergie des habitants,
et la surpêche, qui menace de nombreuses espèces», mentionne le professeur
Kasisi.
Des écosystèmes et des humains
Durant les travaux du
groupe, qui se sont échelonnés de 2014 à 2018, l’accent a été mis sur les communautés
humaines et leurs interactions avec la nature ainsi que les avantages qu’elles
en retirent. Par exemple, 400 millions d'Africains dépendent du poisson
comme source de protéines animales et plusieurs millions de personnes tirent de
la pêche leur principale source de revenu. De plus, les paysages terrestres
comptent beaucoup «pour les loisirs, la relaxation, la guérison, le tourisme
axé sur la nature», sans parler du plaisir esthétique; l’écotourisme est
d’ailleurs une importante source de revenu dans le nord, le sud et les parties
orientales de l'Afrique, ainsi que dans les îles océaniques.
Toutefois,
l’exploitation des ressources ne se fait pas toujours de façon durable, comme
l’ont constaté les auteurs du rapport. «Les combustibles ligneux représentent
80 % de l'approvisionnement en énergie primaire de l'Afrique
subsaharienne, où 90 % de la population dépend du bois de chauffage et du
charbon de bois pour l'énergie, en particulier pour la cuisine, peut-on lire.
La demande de charbon de bois est en croissance, ce qui pourrait avoir des
effets négatifs sur la santé.»
Ce sujet a tendance à être sous-représenté dans les politiques, l’accent
étant plutôt mis sur la nécessité d’avoir accès à des sources d’énergie telles
que l’électricité et le kérosène. «Cette question de la gouvernance est
capitale en Afrique. Plusieurs pays sont corrompus ou en conflit quasi
permanent, ce qui rend la situation très difficile pour l’implantation du
développement durable», confie le chercheur.
Pollinisateurs et espoir
Les principaux
aliments des Africains ‒ viande de gibier, insectes, fruits frais, noix, graines, tubercules et légumes
feuilles, huiles comestibles, boissons, épices, condiments, champignons, miel, édulcorants,
tubercules sauvages et escargots, entre autres ‒ proviennent des forêts, des prairies,
des zones humides et des plans d'eau. De plus, la médecine traditionnelle
africaine s’appuie sur les ressources naturelles à la portée des guérisseurs.
On peut facilement comprendre que la disparition des milieux naturels aura des
répercussions majeures sur les populations.
Robert Kasisi donne
l’exemple de la diminution notable des pollinisateurs, ces insectes qui sont
des agents indispensables dans le cycle de production agricole. «C’est une
grande préoccupation dans certains pays d’Asie, où l’on doit désormais procéder
par pollinisation mécanique», déplore-t-il.
Malgré tout, le chercheur refuse de baisser les bras, car il a relevé de
nombreuses initiatives prometteuses en développement durable, dont la création
d’aires protégées. «Je demeure optimiste», clame-t-il en reprenant à son compte
le titre d’un documentaire de Fernand Dansereau, Quelques raisons
d’espérer.
Attaqué par des hyènes
Le travail de Robert
Kasisi l’a mené à observer la faune dans plusieurs pays d’Afrique, notamment
pour ses travaux sur une espèce en voie de disparition, le gorille de l’Est (Gorilla
beringei) au Congo, son pays d’origine. Durant l’année sabbatique qu’il a
consacrée à la rédaction du rapport de l’IPBES avec ses cosignataires en
Afrique du Sud en 2019, il était au milieu des girafes, antilopes, éléphants et
autres espèces emblématiques du continent. «Cette plongée étendue dans la
savane africaine nous a procuré une grande joie», dit-il.
Si l’Organisation des
Nations unies a fait appel à lui pour codiriger les chercheurs ‒ il était le seul
Canadien du groupe ‒, c’est qu’il a acquis une bonne connaissance du terrain, ayant participé à
des missions au Mali, en Guinée, au Tchad, en Côte d’Ivoire, à São
Tomé-et-Príncipe et au Gabon, principalement.
Une des plus grandes
frayeurs de sa vie remonte à 2005, alors qu’il faisait un safari avec des amis
québécois au Kenya. Au troisième jour d’une expédition pédestre qui en comptait
sept, il a été réveillé en pleine nuit par des bêtes qui rôdaient autour de sa
tente. «J’ai eu la mauvaise idée de frapper sur le bord de ma tente, ce qui a
excité les animaux, qui m’ont pris pour une proie en panique. Heureusement, nos
guides massaïs sont venus et ont chassé les hyènes avec leurs lances et leurs
bâtons.»
Pendant ce voyage, un
de leurs ânes a été dévoré par une lionne.
SAFOU
Bravo, super article !
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